« Demande d’enfant, demande de parent », par Benoit Laurie

Il n’y a pas d’enfant sans parent. Il n’y a pas de sujet sans l’Autre

Un enfant vient parler à un psy… Mais d’où vient cet enfant ?… D’où vient la demande qu’il énoncerait à ce psy ?

On peut dores et déjà répondre que cet enfant est venu au monde, qu’il est venu à nous par l’intermédiaire de ses parents. Cet Un n’existe pas sans ces autres. Cela peut-être dit de tout animal sur le plan biologique : Un corps n’a pas pu prendre forme sans d’autres ; un corps Réel.

Concernant le petit d’homme, c’est d’un corps subverti par le langage dont il est question. Ce petit d’homme sort du corps de sa mère mais pourrait-on dire aussi : de sa langue… Cette langue pointant du déjà-là qui concerne autant le père que les autres humains… Aucun de ces êtres parlants n’existe sans les autres du fait même de cette empreinte culturelle qu’est l’ordre symbolique auquel nous sommes aliénés.

La particularité du petit d’homme est sa vulnérabilité que Freud n’a pas manqué de pointer aux prémices de son élaboration théorique. Tout être parlant est aussi parlé par les autres (c’est ce que suppose cet ordre symbolique), l’enfant est porté par ses parents et aussi parlé par eux ; comme si, je dis bien comme si, il ne savait mieux se parler lui-même qu’eux ne le font…

Il faut revenir sur cette question, la remettre au travail ; cette question du parent qui saurait mieux que son enfant… Que sait-il mieux ? Sait-il mieux être suffisamment fou pour se convaincre d’être compris et de comprendre les autres grâce à un code commun ? Sait-il mieux utiliser ce code commun ?

Ce dit code commun n’est pas sans lien avec la notion du Symbolique. Pourtant que l’Un soit convaincu d’une commune entente entre tous (avec tous les autres), celui-là est fou de nier la différence qui habite chacun de nous et qui est, elle, notre seul point commun. C’est avant tout cette différence que représente l’ordre symbolique qui participe à la structure psychique. Le langage, au regard de la psychanalyse, n’est pas un code commun mais ce qui fait écart pour tout un (chacun).

C’est peut-être cet ordre symbolique que porte le parent pour son enfant lorsqu’il vient énoncer une demande pour cet enfant.

Ce que Lacan pointe avec le nœud borroméen -nœud à trois (R,S,I)- est pour tout un chacun l’impossible de l’Un de ces éléments sans les autres : dès lors que le corps Réel est subverti par le langage, il n’y a pas de Réel appréhensible sans le Symbolique et l’Imaginaire. Cela vient signifier l’écart entre ce que chacun entend de ce qu’il dit et ce qu’il en est.

C’est avec la considération de cet écart que nous devons recevoir la demande de celui qui vient parler à un psy dès lors qu’on s’est mis en place de recevoir cette demande avec le savoir psychanalytique.
C’est la considération de cet écart qui justifie, à mon regard, que je puisse y apporter quelque chose à la demande de celui qui se plaint de symptômes.

J’ai souligné qu’il n’y a pas d’enfant sans parent. On pourrait reprendre à ce propos, les travaux de Winnicott, notamment l’idée d’une « dyade mère-enfant », mais s’il n’y a pas d’enfant sans parent, il n’y a surtout pas de sujet sans l’Autre.

Contrairement à la plupart des animaux, le petit d’homme est vulnérable et est amené à construire une certaine capacité de survie via le langage, celui-ci étant outil de création. Le langage subverti le naturel de l’homme et l’introduit à la culture. Ce sont nos créations et celles héritées de nos ancêtres qui participent à nos protéger du prédateur qu’est l’animal, y compris l’animal en l’humain. C’est ainsi que s’est construit un ordre social où le meurtre et l’inceste sont transgressions.

Freud souligne dans ses « Trois essais sur la théorie de la sexualité » (1905/1924) que la période de latence sexuelle est celle où se forgent les inhibitions et sublimations de la sexualité afin de se comporter sous un mode civilisé. Une période pendant laquelle se « constituent les forces psychiques qui, plus tard, feront obstacles aux pulsions sexuelles ». On entend, ici, l’incidence de l’interdit, en tant qu’il participe aux formations symptomatiques (« conversions de pulsions sexuelles ») et qui permet à Freud de dire : « La névrose est pour ainsi dire le négatif de la perversion. » 1

Outre la question de la vulnérabilité du petit d’homme, on trouve dans les Ecrits de Lacan (Propos sur la causalité psychique) l’idée d’une « prématuration de la naissance chez l’homme, autrement dit de l’incomplétude et le « retard » du développement du névraxe pendant le six premiers mois (…) C’est en fonction de ce retard de développement que la maturation précoce de la perception visuelle prend sa valeur d’anticipation fonctionnelle. Il en résulte, d’une part, la prévalence marquée de la structure visuelle dans la reconnaissance, si précoce (…) de la forme humaine. D’autre part, les chances d’identification à cette forme, si je puis dire, reçoivent un appoint décisif qui va constituer chez l’homme ce nœud imaginaire absolument essentiel (…) désigné sous le nom de narcissisme ». Plus tôt, dans ce même article, Lacan souligne que « le premier effet qui apparaisse de l’imago chez l’être humain est un effet d’aliénation du sujet. C’est dans l’autre que le sujet s’identifie et même s’éprouve tout d’abord ».

Cet effet d’aliénation de l’imago et cet effet du langage, Lacan n’aura de cesse de le souligner rappelant que l’être parlant, son image, ses représentations, etc. n’existent pas sans l’Autre.

Lacan rappelle « l’intuition » de Freud dans sa saisi de « la valeur des jeux occultations qui sont les premiers jeux de l’enfant » : « dans leur caractère itératif la répétition libératoire qu’y assume l’enfant de toute séparation ou sevrage en tant que tel ». C’est souligner ici la tentative sans cesse répétée de se libérer de cette aliénation à l’Autre (qui peut se révéler. symptomatique, sous certaines formes) via l’usage de la représentation où se joue une certaine appropriation de l’acte de séparation et de présentification d’un autre pourtant impossible à maîtriser. On ne se débarrasse pas de l’autre en se le représentant…

« Ainsi cette discordance primordiale entre le Moi et l’être sera la note fondamentale qui ira retentir en toute une gamme harmonique à travers les phases de l’histoire psychique dont la fonction serait de la résoudre en la développant ». Je souligne ici ce qui marque le lieu de notre intervention ; le lieu de la création d’une histoire, de son histoire, pour le sujet. C’est une histoire, sans cesse ré(écrite), et qui tient lieu de vérité pour le sujet.

La demande énoncée par le parent. L’enfant étrangement familier

La demande qui nous est adressée est une demande pour, à propos, de l’enfant, lorsque celui-ci ne se présente pas en mesure de venir jusqu’à nous l’énoncer lui-même.

Le parent qui porte cette demande fait le constat de quelque(s) chose(s), qui, à son sens pose problème. Parfois, il l’énonce en disant : « Ce n’est pas normal de » : ne pas dormir seul/ de crier/ de casser, etc. Ou il désigne ces choses « insupportables ». Le terme chose prend ici son sens de faire d’un sujet une chose, à travers ces déterminants (il casse, il crie, il fait pipi au lit)… Le sujet indéterminable passe pour une chose déterminée, ce par le biais des symptômes… Car le symptôme est, à mon sens, ce qui a valeur de fixation et de déterminisme tant qu’il n’est pas mis au travail ; tant qu’il n’est pas présenté comme porteur d’Autre.

Ce qui est particulier dans cette demande énoncée par un parent c’est qu’elle désigne ce qui pose problème et fait symptôme chez un autre. Elle est pointé dans son enfant.

Partant du principe qu’il n’y a pas d’enfant sans parent, que l’un ne va pas sans l’autre, puis que l’un et l’autre sont des sujets du langage et donc sujets de l’inconscient, l’un et l’autre se trouvent concernés par cette demande… Jusqu’à preuve du contraire, car il arrive que le parent finisse par s’en reconnaître seul porteur…

Pour tout analysant ce qui est pointé comme symptôme par lui est pointé comme ce qui dérange ou comme ce qui trouble et qui ne semble pas correspondre à l’idée, et à l’image qu’il se fait de son désir. On entend des parents dire : « Cet enfant ce n’est pas moi » ou « cet enfant ce n’est pas le mien », certains d’entre eux distinguant l’enfant porteur du symptômes d’un autre qui en serait libre.

« Ce n’est pas moi » cette étrangeté. Comme on le trouve dans l’Unheimlich de Freud, il y a dans cette étrangeté quelque chose qui les concerne ; qui leur est familier. Cela nous dit quelque chose du travail de perte et de deuil qui devra se faire par le travail analytique. Ce deuil correspond à celui de l’objet imaginaire et la perte, à celle de l’objet réel concerné par le refoulement primordial ; objet que Freud désigne par son Das Ding . C’est un travail de re(con)naissance du désir.

Nous somme amenés, par la voie psychanalytique, à entendre cet « étrangement familier »  plutôt que de contribuer à l’éliminer. Ce qui en dit long sur notre défi à faire face à un parent qui nous rappelle son désarroi face à ce qui ne cesse de ne pas être comme ça devrait être, à son sens.

Le symptôme vient faire consensus là où il y a conflit entre UN désir assumé qui correspond à l’Idéal du moi ET du désir refoulé ; LE désir, la pulsion en tant que moteur du psychisme. Ce qui est refoulé correspond au désir en tant que structure psychique, avec ce qu’il suppose de manque, de perte et de castration..

Ce symptôme, il participe à l’identité au sens de l’identique, ce de ce qui ne bougerait plus ; ce qui ne bouge plus en soi et que l’on n’accepte plus. Cet identique ne bouge plus car il participe à UNE identité ; laquelle correspond à la négation de l’infinitude des identités possibles.

En l’occurrence, concernant le parent, il y a en son enfant ce quelque chose qui rappelle l’infinitude des enfants possible.

Ce son qui résonne comme l’appropriatif de la propriété du parent que serait l’enfant, pointe ce qui complique la tâche dans la cure d’un enfant… Il est l’enfant d’un parent à ce moment, il est son sujet , contrairement à ce qui s’apprend à se reconnaître sujet de l’inconscient

Il est sujet des projections de ceux qui l’entourent et auxquels il s’identifie ou non.

L’identification

L’identification, Freud la rapporte (dans « Psychologie collective et analyse du moi » (1921)) notamment au complexe d’oedipe et à l’identification aux images parentales en parlant d’identification au père que « l’on voudrait  être ». Ce qui introduit la question de l’idéal du moi lequel participe aux identifications à des objets substituts de l’objet de la perte primordiale. Dans ce même article, Freud pointe la folie de la foule dans l’identification de tous ceux qui la composent à un même objet qui vient prendre place d’Idéal du moi. On retrouve la question de ce même qui fait symptôme. C’est ce même là que concerne le « pas normal » dont nous parle les parents. C’est la psychologie qui se veut collective, qui se veut être la même pour tous, qui participe comme l’école, dans les idéaux parentaux, à se restreindre à quelques images plutôt qu’à accueillir l’étranger en l’enfant.

L’enfant lui-même peut s’identifier à ces idéaux et à leur pendants inversés (l’enfant « méchant »/ l’enfant « cancre ») afin d’éviter la confrontation au Néant des possibles qui anéantit l’impossible (identité) unique. Tant que l’on colle à ce qu’on nous demande et à ce qu’on désigne en nous, ne se pose pas la question de notre propre désir, sauf à se manifester sous forme d’angoisse. Lacan le précise (dans « Le séminaire X, L’angoisse » (1962-63)) : « Ce qu’il y a de plus angoissant pour l’enfant, c’est justement quand le rapport sur lequel il s’institue, du manque qui le fait désir, est perturbé, et il est le plus perturbé quand il n’y a pas de possibilité de manque ». Cette identification à norme comme Idéal, ou des identifications aux idéaux parentaux sont les voies par lesquelles le parent participe du symptôme de son enfant, quand bien même, il désigne ce symptôme absurde ou insensé… On pourrait même dire parce qu’il désigne ce quelque chose d’étranger et qui lui pose problème, comme absurde et insensé, il en fait du symptôme. Ce sont ses appréhension du symptôme comme un étranger qui dérange, qui participent à la demande énoncée par le parent.

Dans l’énonciation du parent concernant ce qui trouble, il est souvent question d’un écart observé chez son enfant entre ce qu’il en perçoit et ce qu’il y projetait en terme d’idéal normatif. Je souligne le la de la norme, en pensant à ce « la femme n’existe pas» de Lacan. Du féminin, il n’y a que du plurielle et c’est justement ce qui le caractérise face au normâle. C’est ce féminin que nous sommes en place de défendre dans la cure.

Dans le jeu symptomatique qui peut se répéter dans le transfert, on trouve une tentative d’anéantir ce féminin, via les mécanismes de répétition (automatismes de répétition au service de la pulsion de mort, tel que Freud en fait la démonstration dès « Au-delà du principe de plaisir »).

Pour illustration, prenons l’exemple du parent qui nous parle de son enfant « insolent », qui « fait des conneries », qui « n’écoute pas »… Lorsque le parent nous dit cela, il participe à alimenter cette identité fixe, ce qu’il continue de faire lorsqu’il passe son temps à crier sur son enfant ou à lui dire du « fais pas ci, fais pas ça », dont on entend bien la teneur négative qui nous donne l’injonction : « fais des conneries ». Tous ces actes, qu’ils soient paroles ou gestes, participent à renforcer l’image dont l’enfant est devenu porteur. En l’occurrence : un faiseur de conneries, un faiseur de merdes, un emmerdeur.

Cela peut faire écho à ces stades de développement psychique qui n’en sont pas -si l’on veut bien entendre que la chronologie ne concerne pas l’inconscient et la vie psychique- mais qui le deviennent à être désignables lorsque leur occurrence sévit. C’est ainsi que l’on pourrait parler de « stade anal » lorsqu’un enfant nous emmerde à chier à côté… Nous savons bien que bien des adultes se présentent « en stade anal » dans leur relation à l’objet et dans leurs relations à l’autre, à l’instar de cet enfant désigné emmerdeur. Le parent lui-même aurait à s’interroger sur sa propre relation à l’objet  –propre c’est le cas de le dire- à se trouver en place de désigner son enfant comme emmerdeur. C’est parfois l’obsession à la propreté et au bien rangé qui devient emmerdante pour les autres (par exemple) et/ou qui leur donne une bonne occasion, un bel outil pour déranger l’autre .

L’enfant qui « fait des conneries » nourrit ses parents de ses productions ; du moins nourrit-il une « sphère » symptomatique où l’un serait le complément de l’autre. Dans cette sphère symptomatique on trouve du 2 qui exclut le tiers ; on trouve le « débile » tel que le décrit Lacan  ; c’est-à-dire un fonctionnement où si l’on n’est pas l’un, on est forcément l’autre, ou l’on ne pourrait dire que « oui » ou « non », où l’on ne pourrait être que « sage » ou « pas sage »… Un fonctionnement où l’on ne pourrait qu’être.

L’enfant peut dire parfois qu’il en a marre d’être « débile » ou d’être « engueulé/ puni »… Ou, pour prendre d’autres exemples, qu’il en a marre « de ne pas dormir seul »… Et s’il ne le dit pas, ses symptômes le disent… Mais le jeu en vaut-il la chandelle, à son regard, que d’abandonner ce fonctionnement symptomatique, de s’en séparer et de le perdre ? Car il y est perdrait là ce qui le berce de l’illusion de ne pas se confronter au Réel ; il y perdrait quelque chose de l’ordre du narcissisme face au Réel qui le porte devant son image, face à l’impuissance du sujet « pas-tout ». Tant qu’on est quelque chose ou quelqu’un pour quelqu’un, on n’est pas rien. Le fait est qu’on n’est jamais rien en tant que vivant, et ce peut-être cela l’angoisse : n’être qu’un quelque chose qui n’est pas rien (au même titre que « pas-tout ») et dont on ne sait presque rien. Derrière ce symptôme qui chosifie, qui réifie, qui me fait Un et unique, pas-tout, et pas normal, pas comme tous, il y a ce fantasme masqué de toute puissance. C’est ce qui s’entend dans ce que ce symptôme permet de tout savoir de l’enfant : « Il n’est pas sage, vous allez voir il va le casser cet objet… Il va crier… Si je dis ceci, il va dire cela, etc. » L’enfant en faisant sa connerie attendue donne la bonne réponse, que l’autre dit être mauvaise ou pas bonne sur le mode d’une dénégation.

Avant de poursuivre mon propos, je remarque qu’il pourrait être entendue ici une théorie de « l’enfant-symptôme » dont je tiens à me démarquer, dans la mesure la démarche curative ne saurait plus se réclamer de la psychanalyse s’il s’agissait de la fonder sur une théorie systémique où le rouage d’un ensemble viendrait crier, à lui seul, la misère des autres… Cela pourrait s’entendre sous un regard sociologique, mais il n’y aurait pas de voie féminine, il n’y aurait pas d’ouverture à un autre possible chez le sujet que nous recevons en cure, à le considérer causé par l’autre et son discours. J’en reviens à mon interrogation de départ, pour souligner que l’enfant ne peut être que mal causé, mal parlé par son parent dans la mesure où ce dernier en bon sujet parlant est à côté de la plaque comme tout un chacun. Ce qu’il dit n’est pas ce qui est…

C’est donc bien d’une séparation dont il s’agit ; une séparation à reconnaître entre Réel et réalité… Une séparation entre ce que je fais de Moi et ce qu’il pourrait en être… Il s’agit, à ce même titre d’une séparation entre l’enfant et son parent. On pourrait dire de cet enfant qu’il doit « advenir », comme Freud l’a dit concernant le ça. C’est le Je qui doit advenir et non le moi. C’est-à-dire que la pulsion n’a pas qu’une seule voie pour être refoulée. Le parent peut proposer une voie à sens unique du genre : « Tais-toi et tout se passera bien », ou laisser entrevoir toutes les voies possibles, là où la tentation serait grande de ne se fixer qu’à l’une d’entre elles. C’est à l’enfant seul, à l’enfant séparé, qu’appartient l’existence de faire de ces voies parentales ce qu’il désire ; et non pas d’un désire calqué sur du désir idéal, mais DU désir qui participe à animer l’existence sans que la pulsion de mort ne prenne le dessus au point qu’on s’en retrouve débile ou mort-vivant…

C’est à l’enfant seul, comme au parent seul par ailleurs, de mettre au travail ses propres représentations et de percevoir la teneur narcissique de ce qui apparaît comme une négociation d’avec le Réel pour s’y trouver moins vulnérable.

Le travail de cure de l’enfant. La présence du parent

Qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte en cure, son parent est présent, au moins dans le discours de celui-ci, il ne s’agira alors pas du parent réel. Ce parent réel, nous pouvons le rencontrer, avec l’enfant, mais encore et toujours que par les biais symboliques et imaginaires qui habitent notre langage et surtout ceux de la langue de l’enfant.

Toujours est-il que ce parent prend une place particulière dans la cure de l’enfant, qui laisse à notre portée ce qu’il en est de la séparation pour cet enfant. A quel point adhère-t-il ou non au discours de ses parents ? A quel point est-il déjà devenu (s’il n’a pas toujours été reconnu comme tel) un autre que l’enfant de son parent voire un étranger pour ce dernier ?

Freud affirme (dans « Pour introduire le narcissisme » (1914)) que « le développement du Moi consiste à s’éloigner du narcissisme primaire, et engendre une aspiration intense à recouvrer ce narcissisme ». C’est dans cette aspiration que l’on trouve les formes narcissique caractérisant les manifestations symptomatiques.

C’est également cette aspiration qui est à l’oeuvre dans « le déplacement de la libido sur un idéal du moi imposé de l’extérieur », qui amène la satisfaction à passer par cet idéal et, Freud ajoute que cela rend « la satisfaction d’une partie de la libido comme inconciliable ». On entend qu’ici que la satisfaction d’une partie de la libido n’entrera pas dans les critères de cet Idéal et ne correspondra pas à ce qui est attendu de l’enfant (par lui-même ou par ses parents). C’est ce type de satisfaction qui peut se produire sous les auspices du symptôme.

Freud pointe que « les pulsions sexuelles s’étayent d’abord sur la satisfactions des pulsions du Moi, dont elles ne se rendent indépendantes que plus tard, mais cet étayage continue à se révéler dans le fait que les personnes qui nourrissent et soignent l’enfant deviennent les premiers objets sexuels » et ses premiers objets d’identification, qui alimentent la construction de l’Idéal du Moi.

De cet Idéal du Moi, il faut percevoir les caractères narcissiques lesquels participent autant à la construction du symptôme. Freud souligne que le sujet, en cure, cherche cet idéal chez son psychanalyste.

Le symptôme

Ce sont ces aspirations narcissiques qui alimentent l’illusion d’une possible complétude et d’une possible suffisance.

Le manque actuel est vécu comme ce qui pourrait être résolu afin de ne plus jamais manquer.
A ce titre, le symptôme devient comme l’ultime rempart à la complétude. Il porte l’illusion de ce qui, en étant être résolu/dissout amènerait à une ultime satisfaction.

On entend souvent ceux qui se plaignent de leurs troubles affirmer que tout se passerait mieux s’ils ne les avaient pas (ne plus avoir pour mieux être). Chaque petit manque éprouvé semblant être causés par les troubles en question.

Le travail d’analyse vise à évider le discours de l’enfant de ses constructions présentes comme fixation. C’est la part narcissique qui ne bouge plus, l’image figée dans le reflet de l’eau, qui vise à être mise en mouvement par ce travail d’évidement… Que l’enfant entende d’autres constructions possibles qui puissent participer de son image.

C’est cela que la causalité psychique : l’identification, comme le soulignait Lacan (dans « Propos sur la causalité psychique » (1946)). C’est elle qui est cause des identités fixes et morbides ; au service de la pulsion de mort. C’est également l’identification, qui, de par sa nature, révèle l’ampleur des possibles pour un devenir psychique.

C’est ce Réel à l’œuvre qui est au service dans le travail d’élaboration où place est faite pour construire à nouveau encore et encore.

Ainsi, la répétition n’est plus à l’œuvre comme un automatisme, comme une « habitude » tellement ancrée que « je ne saurais plus comment faire autrement », mais une répétition qui vise à mieux représenter notre œuvre.

La cure

Qu’est-ce que tout cela vient dire pour notre travail auprès d’un enfant et de son parent ?

Là où le symptôme reproduit à tue-tête, reproduit à tuer la part créative qu’est l’âme (« l’âme-à-tiers », dans les mots de Lacan…), il y a place à donner, telle que le parent puisse lui-même faire place à un autre discours pour lui-même et son enfant.

Cela suppose qu’il fasse le ménage, c’est-à-dire qu’il remette en question ce qui jusqu’à présent restait une évidence, une habitude, ou de l’inévitable.Ces habitudes s’entendent, par exemple dans ce qu’il dit de ses réponses aux symptômes : « Je dois crier pour qu’il m’entende » ou « Je suis obligé de dormir avec… ». Après quoi, un autre discours peut être construit à propos de lui-même et de son enfant.

Seulement, le lieu de notre rencontre avec son enfant, et les élaborations qui peuvent être à l’oeuvre dans la rencontre avec ce parent sont loin de constituer un travail d’analyse qui fasse véritablement place… Car bien d’autre représentations de celui qui n’est pas que parent n’auront pas leur place dans ce lieu où il apparaît avant tout comme le parent de…

Que l’enfant puisse faire ce travail d’élaboration et d’évidement d’un certain discours qui lui fait du tord est ce qui caractérise l’objet de la cure de cet enfant. Il doit pouvoir trouver à notre côté, la place de se séparer d’imago parentales ou autres ; il doit y trouver la voie vers d’autres identifications et surtout l’ouverture à l’infinitude des possibles identifications. L’issue du travail c’est de comprendre qu’il ne s’arrête jamais, que l’on ce cesse jamais de (re)construire cette image, de notre vivant. Narcisse meurt, les autres vivent…

Dans les constructions à évider, il est un devoir pour l’analyste que de se confronter à la part de celles-ci qui peuvent apparaître tabou. Ce mot renvoie à l’écrit freudien « Totem et Tabou » (1913), et à ce qui s’y rapporte en terme d’interdit de l’inceste.

On retrouve là ce qui se rapporte au refoulé ou à la « castration nécessaire à une société socialisée, où il y a des interdictions sans doute, mais aussi des préférences », comme le souligne Lacan (dans « Le séminaire X. L’angoisse » (1962)).

Freud n’a-t-il pas suffisamment insisté tout au long de son élaboration théorique pour pointer l’ordre du sexuel qui nous habite et qui concerne, au premier chef, le travail d’une analyse ? La pulsion sexuelle, la libido désignent le moteur de l’activité psychique.

Concernant l’enfant, il semble toujours aussi tabou et dérangeant qu’à l’époque où Freud écrit ses « Trois essais sur la théorie de la sexualité », de parler de sexualité infantile et que ce puisse être l’enjeu d’une élaboration psychique d’un enfant en cure.

Certes, il est à rappeler ce qui est entendu par « période de latence », comme je l’ai fait dans cet écrit, et qui concerne le refoulement et son lien à l’inscription dans l’ordre social ; dans lequel serait pris l’enfant qui nous parle. Or, cet ordre social, nous avons à le faire tomber de son piédestal lorsqu’il s’agit de travailler à la levée du refoulement.

Lacan (Dans « Le séminaire VIII, Le transfert », p369) désigne ces extrêmes auquel le travail d’une analyse a affaire, pour ce faire : « Ces points d’écartèlement des termes dont la croisée nécessite les effets auxquels nous, analystes, nous avons affaire, ceux de la névrose en tant que dans la pensée freudienne ils s’affirment comme plus originels que ceux du juste milieu, que ceux de la normale – , il est nécessaire que nous les touchions, que nous les explorions, que nous en connaissions les extrêmes, si nous voulons que notre action se situe et s’oriente, qu’elle ne soit pas captive du mirage, toujours à notre portée, du bien de l’entraide, mais réponde à ce qu’il peut y avoir, même sous les formes les plus obscures ,et qui exige d’être révélé, en l’autre que nous accompagnons dans le transfert. »

C’est dire là que notre action nous poussent parfois à devenir indésirables pour qui ne veut rien entendre de ces extrêmes qui le concernent.

C’est dire la position parfois inconfortable que nous devons tenir devant les parents et devant l’enfant. Nous défendons ce qu’ils cherchent à masquer et que le symptôme, sous sa forme elle-même inconfortable trouve à faire entendre.

Nous sommes en place d’aider l’enfant à se séparer des identifications parentales et de l’amener à se retrouver bel et bien vulnérable ; comme seul parmi tant d’autres.

C’est aussi l’aider à se détacher de l’image d’un parent qui saurait mieux que lui et qui permettrait à l’enfant de se bercer dans l’illusion d’un savoir possible pour qui n’est plus enfant : « Quand je serais grand, je pourrais faire ce que je veux… Quand je serais grand, je serais président ! …».

C’est mettre à jour que sa castration d’aujourd’hui est aussi celle de demain. Autrement dit qu’il n’est pas castré parce qu’il est enfant ou parce qu’il n’est que porteur de tel symptôme mais castré par sa condition d’être parlant laquelle suppose une perte fondamentale (laquelle se rapporte au narcissisme primaire).

C’est une voie par laquelle n’est plus identifié clairement ce qui est cause de mon manque. Il n’est alors plus question de se dire : « C’est de la faute de mes parents si je suis comme ça !! » ni « C’est grâce à mes parents que je suis et que je fais comme ça….».

Ça barre la route à la routine d’un symptôme et ça barre le sujet.

Il n’est plus question de faire l’impasse sur l’un de ces trois termes que désigne Lacan à propos du symptôme dans son travail sur le Sinthome (Séminaire XIII (1975-76)) : R,S,I). Il n’est plus question de faire d’un nœud à 3, un nœud à 4 où le symptôme serait en place de faire lien, plutôt que de laisser la castration -et la création qu’elle permet- faire ce travail.

Pour conclure

Considérer le parent de l’enfant, c’est considérer d’abord le porteur d’un discours à propos de l’enfant au temps de la demande qui nous est énoncée, et considérer le porteur si je puis dire pour le transport de l’enfant. Si je parle d’enfant ça suppose un autre qui le porte, comme l’a pointé Winnicott sous le terme du holding dans les fonctions maternelles (« La position dépressive dans le développement affectif normal » (1954-55)).

Winnicott décrit ce holding, dans sa conception d’une « dyade mère-enfant », comme le maintien d’une « situation » par la mère, comme une stabilité qui permet à l’enfant de faire l’épreuve de certaines « complications » telles la « co-existence » chez lui de l’amour et de la haine : « La mère maintient la situation et recommence sans cesse (…)La technique de la mère permet à l’amour et à la haine qui coexistent chez l’enfant, de se différencier, d’établir leurs rapports et de parvenir à être maitrisés de l’intérieur d’une manière non pathologique », avec la « capacité d’ambivalence ».

Ce qui reste critiquable dans le point de vue winnicottien est son attache particulière aux expériences concrètes de la vie du nourrisson comme cause absolues d’un développement dit « pathologique ».

Au-delà de ce parent réellement présent, notamment dans les soins apportés à l’enfant, il y a le père et la mère qui participent à ses constructions imaginaires puis l’ordre symbolique porté par les fonctions maternelles et paternelles. Il s’agit là des parents pour l’enfant comme Autre de l’Un ; l’Un n’allant pas sans l’Autre.

Si le parent peut apparaître sous sa fonction maternelle comme apportant à l’enfant ce qui lui manque ; ce qui lui manque de nourriture pour assouvir sa faim, ce qui lui manque de paroles pour s’exprimer à d’autres… Il peut apparaître sous les traits d’une fonction paternelle qui vient signifier, que l’amour « c’est donner à l’autre ce qu’on n’a pas », pour reprendre les mots de Lacan (dans « Le séminaire VIII, Le transfert » (1960-61)). C’est cette fonction paternelle, qui relève du féminin, dans son ouverture à l’autre, que nous sommes en place de défendre.

Le transfert, pour le psychanalyste, doit être la considération de la place auquel il s’y trouve mis : en place de sujet supposé savoir et en place d’Idéal du moi, comme l’avait souligné Freud. L’analyste reçoit une demande, qui, comme toute demande, est une demande d’amour. Et « l’amour comme réponse implique le domaine du non-avoir ».

C’est pourquoi nous avons à nous déplacer du siège de celui qui a et qui sait. Dans la rencontre avec les parents, la tentation est grande de se trouver en place de conseiller, elle l’est d’autant plus que c’est souvent ce que demandent directement les parents et parfois l’enfant lui-même ; que de leur donner un conseil sur la marche à suivre. Ce serait là emprunter la voie d’un amour narcissique, où ce qui est à aimer c’est soi-même, le bon guérisseur… Il ne s’agit pas, dans ce cas, d’un amour qui inclus l’autre comme tel ; non pas l’autre comme complément d’un amour pervers et narcissique mais l’autre de l’amour et du désir. Lacan souligne que l’on « ne peut aimer qu’à se faire comme n’ayant pas, même si on l’a. ».

C’est cette position qui permet « la métaphore du désirant {laquelle} implique ce à quoi elle est substituée comme métaphore c’est-à-dire le désiré. Qu’est-ce qui est désiré ? C’est le désirant dans l’autre (…) C’est ce qu’il demande dans sa demande d’amour ».

L’amant « ne sait pas ce qui lui manque » et l’aimé « ne sait pas ce qu’il a » mais « entre ces deux termes (…) il n’y a aucune coïncidence », « Ce qui manque à l’un n’est pas ce qu’il y a, caché, dans l’autre. C’est là tout le problème de l’amour ».

Cette métaphore de l’amour, qui se joue dans le transfert, œuvre à ce que l’analysant s’y trouve en place de désirant… Avant qu’il ne se retrouve en place de désiré… L’un faisant sans cesse suite à l’autre, où reste ce « ne sait pas ».

Ne travailler qu’avec l’un des deux ?

C’est ce travail même qui ne peut être fait qu’avec l’un ou avec l’autre du parent ou de l’enfant pour un analyste, de sorte que l’histoire de l’énonciation du sujet soit belle et bien valorisée dans toute sa singularité.

Elle est singulière car produite par un seul parmi les autres et elle est singulière pour celui-là même qui l’énonce et ne saura plus jamais l’énoncer de la même façon.

De fait, il me semble que l’analyste devrait pouvoir travailler tant avec l’un qu’avec l’autre si tant est qu’il sépare bien leur discours et que l’histoire de l’un ne soit pas mêlée à celle de l’autre ; si la propre élaboration de l’analyste et ses interprétations sont mises au travail par ailleurs : où son propre discours est entendu par un autre qui pourra lui-même l’énoncer autrement et ainsi de suite.

Il faut cependant reconnaître toute la difficulté de ce travail avec l’un puis avec l’autre, dans la mesure où leurs références à leur vécu se croisent : même personnes, même lieux… Certes, il s’agit des mêmes personnes réelles. Encore une fois l’analyste, dans la rigueur de son travail, doit pouvoir tirer profit de l’écart entre réel et réalité des discours de chacun et entendre qu’aucun ne parle des mêmes personnes et des mêmes lieux.

Cela l’analysant lui-même doit pouvoir l’entendre. Ainsi, l’enfant qui a laissé son parent parler de lui et qui nous dit ensuite : « C’est ce qu’il disait, je n’ai rien a ajouter. Il a tout dit », doit pouvoir entendre, de notre côté un désaccord, avec cela : « Je n’ai encore (presque) rien entendu de toi ! ».
Car d’accord de l’un à l’autre il n’y en a pas.

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1 – Symptôme lorsqu’il y a fixation (répétition) à un mode d’expression et de satisfaction de la pulsion. « La pulsion sexuelle est détournée de son objet sexuel : la zone érogène n’est plus seulement la zone génital ». « Les symptômes de la névrose puisent leur force de la pulsion sexuelle elle-même ».

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